Le bon territoire : un territoire d’identité et de projet

Le 2 décembre, à Neuves-Maisons, commune de Meurthe-et-Moselle, se retrouvaient différentes personnalités et acteurs de la ruralité pour une journée d’échanges, organisée par Citoyens&territoire et l’Association Nationale Nouvelles Ruralités. Jalonnée par l’intervention d’un géographe, Romain Lajarge, par deux tables rondes et par des ateliers participatifs, cette rencontre s’est articulée autour de trois sujets majeurs : le projet local, le lien communes-communautés et la participation citoyenne ; la synthèse de ces discussions ayant été intégrée aux réflexions conduites par le Parlement rural français. 

ROMAIN LAJARGE – LES TERRITOIRES : UN BESOIN DE CONCORDE

Romain Lajarge s’est attardé à dresser le bilan des réformes territoriales et leurs conséquences sur les territoires. Il n’a pu que constater que les rapports entre les communes et les intercommunalités avait été complètement bouleversés : en effet, après deux siècles durant lesquels l’architecture territoriale s’est patiemment bâtie, sa structure a été chamboulée en l’espace que quelques années et de quelques lois. 

Ce grand trouble territorial est né d’un basculement. Auparavant, les intercommunalités étaient assises sur un projet de territoire, négocié et voté par l’ensemble des maires. Ce projet faisait le lien entre les territoires et les intercommunalités, donc entre les élus et l’intercommunalité et, in fine, entre les citoyens et leur territoire. Or, la vision spatialiste imposée depuis Paris l’a emporté, par l’obligation, notamment, précisée dans la loi, d’appartenir à une intercommunalité avec un seuil minimal de population. Désormais, le projet de territoire n’est plus au cœur des intercommunalités.

Ces impositions révèlent, selon le chercheur, l’impensé criant de l’État concernant la proximité ; il en veut pour preuve la mode du X.X.L. pour les communes, les intercommunalités, les départements, les régions… alors que son efficacité n’a jamais été empiriquement justifiée. En parallèle et paradoxalement, alors que se déployait le mythe du « plus c’est grand, mieux c’est », les citoyens montraient un attachement toujours plus fort à la commune ; au moment même où ces fusions et agrandissement n’avaient, en aucun cas, entravé l’accroissement des inégalités territoriales, terreau de la grogne sociale actuelle.

Quoiqu’ayant bouleversées l’organisation territoriale, ces réformes demeurent, selon Romain Lajarge, des « gribouillages » — formule empruntée à Dominique Pottier — dans le sens où aucune d’entre elles n’a été jusqu’au bout de ses intentions. 

Par exemple, la loi MAPTAM a considérablement fait croître le nombre de compétences détenues obligatoirement par les métropoles sans faire évoluer le système électoral. Sans s’attarder sur le bien-fondé de ces transferts — qui est globalement discutable — et en se plaçant du côté des réformateurs, il apparaît que les intercommunalités sont dotées de plus de pouvoirs d’action mais sont toujours composées de conseillers n’étant pas directement élus par la population. Même s’il existe un fléchage au moment des élections municipales, les conseillers communautaires, qui par leurs actions influent sur la vie des habitants du territoire, ne sont pas clairement identifiés par les citoyens.

Le constat étant dressé, Romain Lajarge a ensuite plaidé pour un certain nombre de modifications.

Tout d’abord, il a émis le souhait de ne plus voir de communes fusionner et disparaître ; elles racontent l’Histoire de France et, pour reprendre un phrasé tocquevillien, elles sont à la démocratie ce que les écoles élémentaires sont à la science : elles la mettent à la portée du Peuple. En retour, les citoyens leur font montre d’un attachement d’une importance considérable — ainsi, 73 % des français se disent fortement attachés à leur commune, ce qui est confirmé par les chiffres de la participation électorale aux moments des élections municipales. 

Ensuite, Romain Lajarge a mentionné le caractère inégalitaire de la dotation globale de fonctionnement, qui a conduit à un désossement du bloc communal, et s’est attardé à se demander s’il ne serait pas envisageable d’associer le niveau des dotations aux projets politiques portés sur le territoire.

L’enseignant chercheur a aussi souligné qu’il existait un vrai besoin de concorde sur le territoire : il est nécessaire d’accommoder la toute-puissance du « je » conquérant de l’individu roi, issu de la société libérale, et l’aspiration, exprimée lors de la crise sociale, à une plus grande importance accordée au « nous » de l’intérêt général. Ce « nous » que les élus, à condition d’aller chercher les citoyens, étaient en mesure de fabriquer lors de la définition des projets de territoire. 

Les récents événements ont bien montré qu’il était essentiel d’associer les citoyens à la réflexion politique : ils aiment la participation, ils veulent intervenir dans la vie locale et préfèrent interagir plutôt que contester ; c’est bien lorsqu’ils n’ont pas de pouvoir et aucun moyen d’intervenir qu’ils contestent. 

Enfin, il a rappelé le rôle central joué par les maires : ce sont les grognards de la République, ils sentent les territoires et leurs attentes ; c’est la raison pour laquelle, face aux pouvoirs grandissant des intercommunalités et, peut-être, demain, face à l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, il apparaît indispensable de mettre en place un Sénat de l’intercommunalité, composé de tous les maires du périmètre de l’établissement public de coopération intercommunale, doté d’un droit de véto sur certaines questions, notamment sur les sujets ayant trait à la politique d’investissement, pour équilibrer les rapports de force.

En conclusion, Romain Lajarge a tenu à réaffirmer : d’une part, que le mot clef de l’avenir sera la différenciation, en précisant qu’il fallait assumer la complexité là où les solutions simplistes et uniformisantes étaient inopérantes ; d’autre part, il a tenu à rappeler que les ruraux n’avaient qu’une seule revendication : bien vivre dans le cadre qu’ils avaient choisi.

TABLES RONDES

Salvatore LA ROCCA – L’écologie d’abord

Pour le maire de Distroff, la priorité est d’agir pour l’environnement, quelle que soit la taille de l’intercommunalité. Pour cela, il lui semble nécessaire de mettre autour de la table citoyens, élus et experts, pour éviter tout travail en silos. La participation des citoyens favorise l’éducation populaire et constitue une manière de faire des citoyens des acteurs dans la cité.

Yolaine de Courson – Le maire du XXIème siècle : un animateur

Le député a affirmé que les ruralités étaient des territoires à haut potentiel dans lesquels le maire du XXIème siècle ne devait plus nécessairement être un bâtisseur mais plutôt un animateur capable de détecter les précarités des populations par la connaissance de son territoire. Pour ce faire, il faudrait que le maire soit le premier niveau de service public et un des relais des futures maisons France services. 

Dominique Pottier – Faire de l’éducation populaire une compétence intercommunale 

Le député a plaidé pour faire de l’éducation populaire une compétence des communautés de communes afin de veiller à sa présence sur les territoires. Ses apports sont nombreux : rappeler les droits et devoirs aux citoyens, leur apprendre à déchiffrer un monde illisible et accroitre les connaissances de leur environnement politique. Il a également appelé à une lutte contre l’individualisation exacerbée et la société du désir, afin de mettre une distance entre le citoyen et le monde marchand : en combattant l’omniprésence de la publicité, en extrayant le dimanche de la logique du marché, en luttant contre l’ouverture des magasins et le travail le dimanche.

Dominique Valck – Les citoyens : des experts d’usage à mobiliser

Dominique Valck a insisté sur la nécessité de remettre de la fraternité dans l’élaboration des projets sur les territoires. En effet, les habitants ont plus de connaissances qu’auparavant et ils apportent une ingénierie citoyenne utile aux élus, en les aidant à prendre des décisions qui ne sont pas simples. Cette aptitude collective permet, par le compromis, de bâtir ensemble le destin commun. Les conseils de développement appliquent cette méthode de travail et sont capables d’aller chercher, grâce au tirage au sort, les gens concernés par les politiques publiques mais qui, généralement, ne se manifestaient pas ; ainsi, autour de la table, experts théoriques côtoient experts d’usage. 

RESTITUTION DES ATELIERS : IDÉES PRINCIPALES

1- Mettre l’humain au cœur des territoires en créant des espaces d’échanges, de convivialité et de dialogue, en s’inspirant, par exemple, des communes qui soutiennent les associations organisant des apéritifs nomades, où les habitants peuvent débattre et décider des projets à mener.

2- Travailler sur la complémentarité entre les communes et les communautés de communes, en faisant de ces dernières un prolongement de la commune et un lieu de solidarité.

3- Mobiliser en amont les citoyens dans le dessin des projets mais également durant leur mise en œuvre.

Le bon territoire est un territoire d’identité et de projets, voilà ce que doivent être les intercommunalités.